« Un matin, j’ai vu apparaître des taches mobiles dans mes yeux »
Interview avec Antoine B., 38 ans – Témoignage pour CLEAR
La rédaction de CLEAR a rencontré Antoine B., 38 ans, qui raconte le jour où sa vie a basculé à cause de l’apparition soudaine de corps flottants. Entre peur de la cécité, examens médicaux et adaptation difficile, il partage un vécu que beaucoup de patients reconnaîtront.

Rédaction CLEAR : Vous souvenez-vous du moment où tout a commencé ?
Oui, très précisément. C’était un matin d’hiver. J’ai ouvert les volets, la lumière est entrée dans la pièce… et j’ai vu apparaître de petites ombres, comme des filaments ou des bulles.
J’ai cru que c’était de la poussière sur mes lunettes. J’ai frotté, rien ne changeait. Puis j’ai bougé les yeux, et les taches bougeaient aussi.
C’est à ce moment-là que j’ai compris que ça venait de l’intérieur. Et j’ai ressenti un frisson.
Rédaction CLEAR : Quelle a été votre première réaction ?
La peur.
Je me suis précipité sur Internet, et j’ai lu des mots qui font froid dans le dos : décollement de rétine, hémorragie, cécité.
J’ai paniqué. Je voyais ces formes partout, tout le temps. J’avais la sensation qu’elles prenaient toute la place.
Rédaction CLEAR : Vous avez consulté rapidement ?
Oui. J’ai obtenu un rendez-vous trois jours plus tard. Trois jours qui m’ont semblé interminables.
Je regardais le plafond, le ciel, mon téléphone… tout me renvoyait ces taches. C’était obsédant.
Rédaction CLEAR : Que s’est-il passé lors de ce rendez-vous ?
L’ophtalmo m’a examiné, m’a fait un fond d’œil. Long silence. Puis il m’a dit :
« Votre rétine est parfaite. Ce sont des corps flottants. »
J’ai cru que tout allait s’arranger. Jusqu’à ce qu’il ajoute :
« C’est bénin, mais il n’existe pas de traitement. »
Là, j’ai eu l’impression qu’on me retirait le plancher sous les pieds.
Rédaction CLEAR : Vous attendiez une prise en charge ?
Oui, bien sûr. Une explication, une solution, n’importe quoi.
Mais on m’a dit simplement : “Votre cerveau s’y habituera.”
Je suis sorti du cabinet avec la pupille dilatée, sans traitement, sans suivi.
Et avec une phrase qui tournait en boucle : « Vous allez vous y faire. »
Rédaction CLEAR : Comment avez-vous vécu les jours suivants ?
Mal. Très mal.
Je voyais ces formes bouger tout le temps. Dans la rue, devant mon écran, même en parlant à quelqu’un.
Le ciel, les murs clairs, les vitres… tout me rappelait leur présence.
J’ai commencé à éviter la lumière. À baisser les volets. À chercher l’ombre.
Rédaction CLEAR : Ce devait être difficile à expliquer à votre entourage ?
Impossible, en réalité.
Les gens ne voient rien. Ils ne comprennent pas. On me disait : “C’est dans ta tête.”
Mais non, c’est dans mes yeux, et mon cerveau n’arrivait pas à l’ignorer.
C’est très déroutant de souffrir d’un symptôme invisible.
Rédaction CLEAR : Vous avez cherché d’autres avis médicaux ?
Oui. Trois au total.
Tous m’ont dit la même chose : “C’est fréquent, ce n’est pas grave.”
Mais personne ne m’a expliqué pourquoi c’était aussi perturbant, ni comment apprendre à vivre avec.
C’est ça, le plus dur : le silence. L’impression d’être seul avec quelque chose d’invisible et envahissant.
Rédaction CLEAR : Comment cela a-t-il affecté votre moral ?
C’est allé très bas.
J’ai perdu le sommeil. J’étais obsédé par ces taches. Je faisais semblant d’aller bien, mais j’étais épuisé intérieurement.
J’avais peur que ça empire, peur de ne plus jamais revoir “normalement”.
J’ai compris à quel point notre vision est liée à notre équilibre mental.
Rédaction CLEAR : Vous avez trouvé des informations rassurantes quelque part ?
Pas au début. Internet, c’est souvent pire : beaucoup de peur, peu d’explications.
Puis j’ai découvert des discussions entre patients qui parlaient d’habituation, d’adaptation cérébrale.
Et un mot revenait souvent : neuroplasticité.
Je me suis mis à chercher ce que c’était.
Rédaction CLEAR : Et qu’avez-vous découvert ?
Que le cerveau pouvait apprendre à ignorer certaines informations visuelles.
Qu’il pouvait, avec le temps et certains exercices, “filtrer” ce qui ne doit pas être perçu.
C’est là que j’ai commencé à comprendre qu’il ne s’agissait pas seulement d’un problème d’œil, mais aussi d’un problème de perception.
Rédaction CLEAR : Vous avez essayé de travailler là-dessus vous-même ?
Oui, un peu intuitivement.
J’ai arrêté de fuir la lumière. J’ai commencé à m’y réhabituer.
J’essayais de ne pas suivre les taches du regard, de laisser mon attention aller ailleurs.
Au début, c’était épuisant. Mais peu à peu, j’ai senti de courts moments de répit.
Comme si, pendant quelques secondes, mon cerveau décidait de ne plus “voir” les flottants.
Rédaction CLEAR : Ces moments vous ont donné de l’espoir ?
Oui. Parce qu’ils prouvaient que ce n’était pas figé.
Si le cerveau peut ignorer ces formes quelques secondes, alors il peut peut-être apprendre à le faire plus longtemps.
Je me suis dit que la solution ne viendrait peut-être pas d’une goutte ou d’un laser, mais d’un entraînement.
Rédaction CLEAR : Pensez-vous qu’une solution pourrait exister un jour ?
Je pense que oui.
Pas un remède miracle, mais une approche qui aiderait le cerveau à s’adapter, à “oublier” ces taches.
J’ai lu que certaines recherches allaient dans ce sens : travailler sur la perception, sur la neuroadaptation.
Ce n’est pas encore abouti, mais c’est une piste. Et quand on vit ça, une piste, c’est déjà beaucoup.
Rédaction CLEAR : Qu’aimeriez-vous dire à ceux qui découvrent ces symptômes aujourd’hui ?
De ne pas paniquer.
De consulter vite, bien sûr, pour écarter les urgences. Mais ensuite, de comprendre que le plus dur n’est pas dans l’œil — il est dans la tête.
Ce qu’on vit, c’est une perte de confort visuel, de sérénité, pas de vision.
Et même si la médecine n’a pas encore de réponse, quelque chose est en train d’émerger.
Un jour, on trouvera peut-être comment rééduquer le regard.










